Aujourd'hui je vous propose ce texte qui a été publié dans le numéro 252 de la revue pédagogique Freinet. Vous pourrez en retrouver le lien en fin de page.

 

Un environnement propice aux questionnements

[A l'époque] c’est ma troisième année dans cette petite école construite en bordure de la Garonne. L’idée de mettre en place des classes multi âges permettant de suivre les enfants au fil des ans a été joyeusement accueilli par mes nouvelles collègues. Mes grandes sections actuels (du moins en majorité) ont donc été mes premiers élèves de petite section à rester dans la classe. C’est d’ailleurs en écho aux besoins de l’un d’entre eux que notre coin «  nature  » s’est enrichi au-delà de ce que j’avais imaginé. Beaucoup d’espaces verts sont pourtant présents sur le petit territoire de la commune mais les enfants manifestent des besoins, des questionnements forts liés à la nature, à la vie, comme s’ils habitaient au cœur d’une ville qui les enfermerait de son béton.


 

Une instance de parole, le Quoi de neuf 

Chaque jour, nous pratiquons le Quoi de neuf  pour lequel les inscriptions sont toujours nombreuses et les interventions variées. Très vite, les petits aussi se saisissent de ce moment et participent de leurs propositions et leurs remarques.

Un matin de janvier, Thaïwen est appelé par les présidents. C’est un enfant de cinq ans, timide, qui ne s’inscrit qu’occasionnellement. Il monte sur la marche qui lui confère le statut d’orateur et annonce de sa voix fluette que le père Noël lui a apporté un lapin, sans donner plus de détails. Aussitôt, nombre de mains se lèvent pour demander la parole et Thaïwen commence à donner la parole à ses camarades.

Les enfants veulent savoir s’il s’agit d’une peluche, d’un jouet ou d’un lapin vivant et c’est effectivement un animal. Les questions s’enchaînent et un camarade finit par demander si Thaïwen pourrait nous amener son lapin en classe. Les yeux se tournent unanimement vers moi et je promets d’en parler avec sa maman. Trois ou quatre jours après, la maman s’est procurée une cage de transport suffisamment confortable pour permettre au lapin de passer quelques heures en classe et Thaïwen arrive fièrement en aidant à porter l’encombrant colis.

Ce matin-là, il fait particulièrement froid et le givre a envahi les routes environnantes et la pelouse de la cour. En sortant de sa voiture, sur le parking de l’école, un autre enfant de la classe a ramassé un petit oiseau mort qu’il nous ramène dans un mouchoir en papier. Ce n’est pas notre premier oiseau mort, nous en gardons un dans une boite en classe, car nous l’avons découvert naturalisé dans un recoin de notre salle de jeux, derrière la structure.

Dès lors, le rythme habituel et les activités de notre journée vont être bousculés pour permettre à tous de profiter de la présence du lapin. Avec mon aide, Thaïwen sort son lapin de la cage et le présente à chacun des enfants qui l’observent et le caressent. Thaïwen arbore un sourire de fierté et la complicité avec son animal s’impose à tous quand le lapin vient glisser sa tête dans le cou de l’enfant pour un petit câlin.

Nous profitons avec les petites sections d’un moment privilégié de langage en petit groupe pour installer le lapin dans un large bac avec un fond de paille et pour l’observer. Comme d’habitude, les petits s’empressent de faire des remarques et sont à l’origine de nombreuses questions sur la vie du lapin et les soins à lui apporter.

Nous aurions pu en rester là mais… la présence le même jour de ce petit oiseau trouvé mort aux abords de l’école a suscité des questionnements croisés avec le lapin, des idées...

«  L’oiseau quand il va se réveiller, on va le remettre dehors pour qu’il s’envole  »  : cette remarque d’un enfant de moyenne section, est l’occasion de discussions entre les enfants et engendre une réflexion plus poussée autour de la vie et de la mort.


 

La part du maître  : dévolution

J’aurais pu évidemment, répondre directement à l’enfant en quelques mots et passer à autre chose mais en me décentrant et en livrant la remarque au groupe, j'ai permis de générer un échange très riche qui s’est engagé pour déterminer les caractéristiques connues de la vie en opposition de celles de la mort. Il faut noter que depuis le début de l’année nous avons eu l’occasion de côtoyer différents animaux morts ou vivants à l’intérieur ou aux abords de l’école. Nous avions accueilli jusqu’à fin décembre un nid de fourmis dans notre classe par le biais d’une association scientifique.

Pendant le débat je deviens secrétaire, je m’attelle à mon tableau mobile pour noter les interventions des enfants, les questions, les remarques. Comme toujours, en fin de semaine, l’événement fera l’objet d’un compte-rendu pour le cahier de vie mais au-delà de cette première journée, les enfants continuent de poser des questions, faire des observations qui alimentent le travail en cours.


 

Vers le concept de vie et de mort

Chaque fois que nous le pouvons, nous revenons sur nos notes et les idées se structurent peu à peu  : on classe les animaux vivants et les animaux morts rencontrés, on relève les caractéristiques communes à chaque état, les enfants évoquent la disparition de leurs animaux de compagnie.

Certains enfants partagent leur chagrin ou leur incompréhension, d'autres ne connaissent pas vraiment les circonstances ou les causes de cette disparition. Sana nous raconte que son chat n'est jamais revenu à la maison et que la famille a donc supposé qu'il était mort.

Plus tard, nous revenons sur les différents animaux rencontrés par la classe grâce aux photos prises avec la tablette afin de les renommer et d’établir un tri.

Au bout de quelques séances, il apparaît important pour tous de produire un affichage pour les parents et les autres classes, en complément de la page du cahier de vie. Nous y ajoutons un petit encart pour rappeler aux familles le fonctionnement et les enjeux du   Quoi de neuf.


 


 

L’institutionnalisation du Quoi de neuf  dans la classe multiâges, les rituels, la place décentrée de la maîtresse, qui reste garante de la sécurité affective de tous et du fonctionnement de la classe ont permis aux enfants de s’approprier cet espace d’échanges entre pairs. La parole y est vraie et sincère, le respect et l’écoute y sont devenus essentiels aux yeux de tous les enfants.

Petit à petit, le groupe a appris à se saisir des occasions de réfléchir ensemble, de confronter les avis et les hypothèses, la maîtresse restant en appui technique. La classe devient ainsi un lieu de construction coopérative des savoirs, induite par les questionnements authentiques des enfants.


 

Du Quoi de neuf aux savoirs scientifiques
Du Quoi de neuf aux savoirs scientifiques
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